Retour d’expérience : la mise en place du réseau de chaleur bois de la Chantrerie (Nantes) par une AFUL

Résumé

La mise en place du réseau de chaleur bois sur le campus de la Chantrerie à Nantes a été possible avec la création de l’AFUL Chantrerie, une association foncière urbaine libre permettant de sélectionner un opérateur privé et de contractualiser l’achat de la chaleur sur 20 ans. Cette AFUL réunit les cinq établissements concernés par le raccordement. Afin que ce projet voit le jour, il a fallu également l’implication importante d’un des établissements, afin de jouer le rôle de chef de projet.

Grâce aux apports de l’exploitant privé et de l’Etat à travers le Fonds chaleur, les investissements financiers sont en revanche très faibles (comparé au coût du projet) pour les établissements raccordés, et une économie de 5 % a été réalisée sur la facture de chauffage dès la première année par rapport à l’ancien système.

Gage de stabilité de la facture, le réseau est alimenté à environ 80 % par le bois et 20 % par le gaz, et le prix payé par l’usager correspond pour plus de la moitié aux charges d’investissement et d’entretien, qui sont parfaitement maîtrisées dans le temps.

Sur le plan environnemental, cette installation permet d’éviter l’émission de 2 200 tonnes d’équivalent CO2 par an et de substituer la consommation de 8 TWh d’une énergie fossile importée (le gaz) par une énergie renouvelable locale (le bois). En outre, l’AFUL Chantrerie permet l’émergence d’autres projets tels que l’installation de panneaux solaires sur la chaufferie, la mise en place de cultures énergétiques et l’implantation de ruches d’abeilles.

Historique : un projet associatif monté en trois ans

Le projet est né de la volonté de l’école des Mines de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’utiliser des énergies renouvelables pour chauffer son propre bâtiment : d’où l’idée d’une chaufferie bois. Celle-ci étant peu rentable pour un seul établissement, le projet s’est agrandi aux quatre autres écoles et au laboratoire du campus, dessinant ainsi le contour du réseau de chaleur.

Le coût d’investissement d’un réseau de chaleur est important, l’école des Mines a donc missionné Nantes Métropole Aménagement (société publique locale jouant un rôle d’opérateur public dans l’aménagement des territoires urbains de l’agglomération) pour lancer une étude de faisabilité technique, économique et juridique, de laquelle est ressortie la solution de l’association foncière urbaine libre (AFUL, voir ci-après). Nantes métropole, qui dispose de la compétence permettant d’établir des réseaux de chaleur sur son territoire, ne souhaitait pas s’engager dans une DSP ou une régie pour ce projet. De plus, un appel d’offres pour l’achat de chaleur sur 20 ans n’est pas autorisé par le Code des Marchés Public si la chaufferie n’est pas construite, et le financement de la chaufferie n’était pas envisageable par les établissements du campus.

Une AFUL est une “collectivité de propriétaires réunis pour exécuter et entretenir, à frais communs, les travaux qu’elle énumère”. Il s’agit d’un des montages juridiques possibles pour la mise en place d’un réseau de chaleur privé. Un autre type de montage est l’association syndicale libre.Quatre objets sont possibles pour se constituer en AFUL :

  • Le remembrement de parcelles et les travaux et aménagements nécessaires ;
  • Le regroupement de parcelles en vue de la mise à disposition ou la vente à un tiers ;
  • La construction et l’entretien d’équipements d’usage collectif (voirie, chauffage, espaces verts …) ;
  • La conservation, la restauration et la mise en valeur d’immeubles en secteur sauvegardé ou périmètre de restauration immobilière.

 

On trouve d’autres exemples de montage de réseaux de chaleur sous l’égide d’une AFUL, par exemple dans l’écoquartier Dock de Ris (Ris-Orangis).

Un dialogue compétitif a été lancé en 2010 par l’AFUL, avec l’assistance technique retenue suite à l’étude de faisabilité : un groupe du BE CLIMAT et de SNC LAVALIN. La société Cofely GDF Suez a été choisie pour concevoir, construire, exploiter et financer l’ensemble du réseau de chaleur. Et les cinq établissements raccordés se sont engagés, via l’AFUL, à acheter la chaleur produite sur la durée du contrat, à savoir 20 ans. Voir sur l'infographie ci-contre la chronologie du projet et des étapes clés.

Pour chaque étape, le chef de projet de l’école des Mines de Nantes a été l’acteur principal et a porté le projet jusqu’à son aboutissement.
Le temps écoulé entre l’idée du projet et la contractualisation est de deux ans, et moins d’un an plus tard (mi-octobre 2011), la chaufferie bois était mise en service. La mise en place du projet a été très rapide si l’on compare à un schéma plus classique de délégation de service public par exemple.

Description technique : 3 km de réseau et une chaudière bois de 2,5 MWth

Plan schématique du réseau issu de la présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Plan schématique du réseau issu de la présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Le réseau de chaleur est situé sur un terrain d’environ 2 000 m², propriété de l’AFUL. Le réseau primaire fait environ 3 km et dessert les cinq établissements du campus.

Schéma de principe de la chaufferie – présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Schéma de principe de la chaufferie – présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Il comprend une chaufferie constituée d’une chaudière bois de 2,5 MW et de deux chaudières gaz en appoint de 5 et 2,5 MW.

En photos, prises sur site en août 2013, une brève description de la chaufferie

La chaufferie se situe à côté de l’école supérieure du bois. Sur la photo, on peut voir le silo où est stocké le combustible bois avec accès direct depuis la route.

Les 2 chaudières gaz sont « encapotées » afin de réduire le bruit, le capotage étant fait avec les caisses rouges sur roulettes, que l’on voit sur la photo.

Des poussoirs sont installés au fond du silo afin de diriger le combustible bois au bon endroit pour qu’il soit acheminé vers le brûleur par un tapis roulant.

Sur cette photo on voit le couloir qui permet d’acheminer le combustible bois vers la chaudière. A droite se trouve le silo et à gauche la chaudière.

Le brûleur est le foyer de la chaudière, il est constitué de la flamme, et de briques à forte inertie.

L’échangeur se situe après le filtre. Il permet de récupérer la chaleur restant dans les fumées (après brûlage du bois).

Fonctionnement de l’association foncière urbaine libre

La contractualisation, entre l’AFUL Chantrerie et l’opérateur privé, est basée sur une part de 80 % bois. Ainsi, lorsque la consommation de gaz est supérieure à 20 %, la facture reste calée sur 20 %, la différence étant à la charge de l’opérateur, Cofely. Un bilan d’activité a été réalisé sur les deux saisons de chauffe passées. Les résultats sont les suivants :

La part de bois était de 61,4 % la première année et de 82,7 % lors de la deuxième saison de chauffe, du fait notamment de la rigueur climatique plus faible la première année. En effet, la chaudière bois ne fonctionne qu’au-dessus d’une certaine demande en énergie. En dessous, cela n’est pas pertinent à cause, notamment, des nombreux auxiliaires (tapis roulant, pistons, etc.) à mettre en fonctionnement.

Par rapport à la situation initiale de chauffage au gaz pour l’école des Mines, la facture a diminué de 5 % avec le réseau de chaleur. Ce retour d’expérience sur les deux premières années a impulsé le raccordement d’autres bâtiments de l’ONIRIS qui étaient à la base en dehors du périmètre. Le raccordement de l’école du Design s’est fait également lors de l’été 2013. Ces nouveaux raccordements ont fait passer la consommation de 9,5 GWh à près de 12 GWh. Lors du raccordement d’un nouveau bâtiment au réseau de chaleur, deux options sont possibles :

  • soit le bâtiment est représenté dans l’AFUL
  • soit l’AFUL peut lui vendre de la chaleur par contrat

Factures de chauffage : une évolution maîtrisée dans la durée

Les besoins en énergie des différents bâtiments raccordés sont les suivants :

Bilan d'activités 2012-2013

Besoin de chauffage des bâtiments raccordés – présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Le besoin total est d’environ 9 500 MWh (soit environ 800 équivalents logements). Il s’agit donc d’un réseau comparable, en quantité de chaleur distribuée, à ce qui peut se développer dans des écoquartiers.

Un bilan a été réalisé sur la saison de chauffe 2012-2013 et il en ressort une économie de 5 % sur la facture de chauffage avec le réseau de chaleur bois, par rapport au chauffage gaz collectif.

Comparatif de coût

Moins de la moitié de la facture de chauffage avec le réseau de chaleur bois correspond au combustible (bois et gaz), l’autre moitié contribue au retour sur l’investissement du projet, à l’entretien et à l’exploitation principalement.

Cette facture comparée est représentée schématiquement ci-après :

Décomposition de l’ancienne et de la nouvelle facture – présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Décomposition de l’ancienne et de la nouvelle facture – présentation de Bernard Lemoult de l’école des Mines

Enquête sur les prix des combustibles bois en 2016-2017

L’ancienne facture au gaz collectif était indexée à plus de 80 % sur le prix de l’énergie fossile, qui suit une tendance d’augmentation, comme on peut le voir sur le graphique suivant :

Etude ADEME « enquête sur les prix des combustibles bois en 2016-2017 »

Etude ADEME « enquête sur les prix des combustibles bois en 2016-2017 »

A l’inverse, la part due aux combustibles de la facture de chauffage avec le réseau de chaleur bois est indexée à 80 % sur le bois et 20 % sur le gaz, avec un prix du bois plus stable que le prix d’une énergie fossile.

Pour ces deux raisons (part significative de la facture correspond à l’amortissement/entretien/exploitation et poids limité du prix du gaz dans la part due aux combustibles), l’évolution dans le temps de la facture du réseau de chaleur bois est beaucoup mieux maîtrisée.

Aspect environnemental : 60 % d’émissions de GES en moins

La part d’énergie renouvelable et de récupération (EnR&R) du réseau de chaleur bois est d’environ 80 %. Cela permet d’éviter la consommation d’environ 8 TWh d’énergie fossile et l’émission de 2 200 tonnes de CO2 par an. Soit une réduction d’environ 60 % des émissions de GES liées à l’énergie.

La fourniture en bois représente quatre camions par semaine en période de grand froid ; on est donc loin de l’idée d’un flot continu de livraison qui inquiète parfois les riverains de projets de chaufferies bois collectives.

La chaufferie bois est équipée d’un filtre réduisant grandement les émissions de particules. Ce type d’installation n’est pas possible pour le chauffage au bois individuel (coûteux et volumineux), rendant ces équipements plus émissifs  de polluants atmosphériques surtout lorsque les appareils sont anciens et peu entretenus.

Coût du projet : un investissement très faible pour les usagers

Pour les cinq établissements, le projet a nécessité :

  • 5 k€ de l’école des Mines de Nantes pour l’étude de faisabilité technico-économique, menée en grande partie en interne,
  • 10 k€ au total (soit 2 k€ par établissement), en complément de 20 k€ d’aide de Nantes métropole Aménagement pour le choix de l’assistance technique et la rédaction des pièces de la consultation,
  • 1 700 k€ HT environ pour l’opérateur privé,
  • 1 815 k€ de l’ADEME dans le cadre du Fonds Chaleur

Soit un total de 3,53 millions d’euros.

En savoir plus sur l’AFUL Chantrerie