Réseaux de chaleur et bâtiments à énergie positive : perspectives

Des bâtiments sources d’énergie renouvelable

Après le bâtiment basse consommation ou passif, la prochaine étape est le bâtiment producteur d’énergie renouvelable.
Le développement des bâtiments à énergie positive (BEPos), , pose la question de la valorisation de l’énergie – électricité, chaleur ou froid – qu’ils produisent en excédent. Si le modèle de collecte d’électricité renouvelable produite par les bâtiments existe déjà (solaire photovoltaïque), cela reste à développer avec les réseaux de chaleur et de froid.

Des innovations techniques, déjà engagées, mais également de nouvelles approches économiques et juridiques sont à imaginer.

Pour que la synergie entre réseaux de chaleur et BEPos se matérialise, les labels puis la réglementation devront l’accompagner.

Une esquisse de définition européenne

En 2010, la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments introduisait la notion de nearly zero energy building : « la quantité quasi nulle ou très basse d’énergie requise devrait être couverte dans une très large mesure par de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, notamment l’énergie produite à partir de sources renouvelables sur place ou à proximité ».

Batiment à énergie positive en construction

Du bâtiment basse consommation au bâtiment producteur

Immeuble à énergie positive en construction © Arnaud Buissou/ Terra

En France, les réglementations thermiques de 2005,2012 puis 2020 ont fortement renforcé l’efficacité énergétique des bâtiments. Mais les efforts techniques et économiques requis atteignent une limite pour ce qui concerne la réduction des consommations. L’étape suivante est donc de mobiliser les énergies renouvelables, afin de couvrir les besoins incompressibles.
Avec la RT2012, quelques mécanismes incitant à mobiliser ces énergies ont été introduits. La mise en place de la RE2020 au 1er janvier 2022 renforce le recours aux énergies renouvelables.
La RE 2020 demande en effet de réduire fortement les besoins en énergie (-30 % par rapport à la RT 2012) et oblige à recourir un maximum aux énergies renouvelables via son indicateur Cep,nr max, fixé à 55 kWhep/m² pour les maisons individuelles et 70 kWhep/m² pour les logements collectifs. La RE 2020 vise également à privilégier les énergies décarbonés via son indicateur Ic energie, qui limite les émissions de GES liés à l’utilisation de l’énergie sur le cycle de vie du bâtiment.

Une propagation lente et diffuse sur les territoires

Comme avec chaque nouvelle génération de bâtiments, le bâtiment à énergie positive va se diffuser lentement dans les territoires.
Cette diffusion a été testée entre 2017 et 2021 via l’expérimentation E+C-, sur une base volontaire de la part des maîtres d’ouvrage, qui disposait d’une méthode d’évaluation des bâtiments sur l’énergie et le carbone et définissait, pour son plus haut niveau d’exigence (Energie 4), l’atteinte du bâtiment à énergie positive.

L’expérimentation E+C- proposait pour cela un indicateur, appelé bilan BEPOS, qui prenait en compte l’ensemble des consommations d’énergie du bâtiment (immobilières et mobilières) et en déduisait la production d’énergie photovoltaïque et renouvelable ou de récupération pour vérifier l’atteinte de l’énergie positive (Bilan BEPOS < 0 kWhep/m².an).

Suivant la typologie des territoires, plus ou moins denses, plus ou moins sujets au renouvellement urbain ou aux extensions, cette diffusion pourra se faire par points (bâtiments isolés dans la ville) ou par tâches (quartiers neufs, rassemblant sur une zone homogène et continue un ensemble de bâtiments à énergie positive).

Les impacts pour la collecte de l’énergie par les réseaux ne seront pas les mêmes suivant le mode de répartition spatiale.

Poële à bois

Chaleur ou électricité ?

 Photo © Laurent Mignaux / MEDDE

Le bois est la première source de production d’énergie renouvelable dans les bâtiments, mais est exclusivement utilisé en auto-consommation.
Même si aujourd’hui la chaleur renouvelable produite dans les bâtiments est exclusivement auto-consommée, la définition du bâtiment à énergie positive mentionne la production énergétique, donc bien la chaleur et l’électricité. La condition est alors de disposer d’un exutoire pour l’excédent d’énergie thermique produit.
Le constructeur du bâtiment pourrait ainsi envisager l’ensemble des systèmes de production d’énergie renouvelable disponibles, et choisir celui ou ceux qui, selon les contraintes propres à son bâtiment, offrent la plus forte production avec les nuisances les plus faibles (encombrement, impact architectural, gestion/maintenance, émissions de GES…). Certains systèmes nécessitent de la surface de toiture (solaire), d’autres du stockage de combustible (bois), d’autres une anticipation importante au moment des travaux (géothermie)…
Quelques exemples de systèmes de production renouvelable à l’échelle des bâtiments :

  • Électricité renouvelable : solaire photovoltaïque, micro-éolienne (sous condition de son intégration au bâti sans dégradation)
  • Chaleur renouvelable (y.c. récupération) : géothermie/aérothermie, solaire thermique, chaudière bois, récupération de chaleur des eaux usées
  • Mixte : micro-cogénération bois ou biogaz, solaire hybride

Des réseaux de chaleur et de froid décentralisés

De nécessaires innovations techniques et juridiques

Aujourd’hui, il n’existe pas en France de modèle permettant à un réseau de chaleur ou de froid de collecter l’énergie produite par une multitude de producteurs individuels même si des expérimentations sont en cours. Ceci pose des questions techniques et juridiques. Globalement, il s’agit de passer d’un modèle centralisé (une ou deux chaufferies, un réseau de distribution, une multitude de points de livraison) à un modèle diffus (une multitude de points de production reliés à une multitude de points de livraison).

Sur le plan technique

Les innovations telles que l’abaissement des régimes de température des réseaux, le développement du stockage ou encore les réseaux thermiques intelligents permettent d’envisager des solutions. Bien entendu, des bâtiments de différentes générations (RT2005, BBC, BEPos, ancien rénové, etc.) cohabiteront sur un même réseau ; celui-ci devra donc être capable d’accommoder l’ensemble des besoins, et de s’adapter à une diminution des besoins lors de rénovations thermiques.

Sur le plan juridique

Un modèle a été développé au niveau national, pour l’électricité solaire : l’exploitant du réseau achète l’énergie aux privés à un tarif fixé par l’État (et financé par la contribution de tous les utilisateurs d’électricité tant que cette électricité coûte cher à produire). Par analogie, on peut imaginer que ce modèle pourrait être répliqué à l’échelle d’un réseau de chaleur : l’exploitant achète l’énergie aux propriétaires des BEPos dans un cadre fixé par le régulateur local (la collectivité, autorité du service public de distribution de chaleur). Le développement de communautés énergétiques peut permettre de développer ces approches à des échelles locales, de quartiers par exemple (en savoir plus sur les communautés énergétiques sur le site d’Energie Partagée)

Quartier de maisons individuelles chauffées au thermique solaire au Canada
Drake Landing Solar Community (Canada)

L’exemple du solaire thermique sur réseau de chaleur

Chaque logement est équipé de panneaux solaires thermiques. L’ensemble est relié par un réseau de chaleur, qui collecte l’énergie, la stocke et la redistribue selon les besoins.
Pour l’introduction du solaire thermique dans les réseaux de chaleur, on distingue deux approches : le modèle centralisé, avec un champ de panneaux solaires (organisation comparable au réseau de chaleur classique, avec une production d’énergie centralisée dans une chaufferie), comme à Marstal au Danemark, et le modèle diffus avec des panneaux solaires positionnés sur les bâtiments, raccordés au réseau.
Ce second modèle est assez proche de la problématique de la collecte d’énergie thermique produite par un ensemble de BEPos.
Il en existe quelques exemples, comme à Graz en Autriche ou à Drake Landing au Canada, démontrant la faisabilité technique et économique d’un tel fonctionnement.

Vérifier l’intérêt économique

Le réseau électrique bénéficie de financements publics afin de pouvoir raccorder tous les bâtiments. Dans le cas d’un BEPos, il n’y a donc pas à se poser la question de la pertinence économique d’étendre le réseau de distribution électrique : celui-ci est obligatoirement présent et pourra être mobilisé pour collecter l’énergie produite par le bâtiment.
Pour la chaleur en revanche, il faut que le coût de raccordement du BEPos ne soit pas supérieur aux bénéfices qu’on en retirera sur sa durée de vie. Ces recettes seront de deux natures : les bénéfices sur l’énergie vendue au bâtiment et les gains obtenus par la revente de l’énergie achetée à ce bâtiment, si le prix d’achat est inférieur au prix de vente sur le réseau.
 

Ces questions nécessitent d’être approfondies, mais on peut aisément imaginer qu’une étude au cas par cas sera nécessaire afin de valider la pertinence au niveau local, comme aujourd’hui pour la création ou l’extension d’un réseau de chaleur dans un quartier neuf.

  • Quelle est la production attendue sur les bâtiments qui seraient raccordés ?
  • Quelle est la demande de chaleur ou de froid sur le réseau ?
  • Combien coûtent les autres énergies qui peuvent alimenter le réseau ?
  • Combien coûte l’extension du réseau pour raccorder les BEPos ?
  • Quels sont les bénéfices environnementaux et quelle valeur leur accorde-t-on ?
  • Etc.

Changement d’échelle : du bâtiment au quartier

Vue aérienne de bâtiments simulés en 3D par informatique sur fond photographiqueOutre le développement de la production d’énergie renouvelable in situ, le futur label proposé pour aller au-delà de la RE 2020 devrait également introduire un changement d’échelle. Le bâtiment ne sera plus considéré seul, mais bien comme partie constituante du quartier, de la ville.
Ce changement d’échelle permettra d’accéder, par exemple via des micro-réseaux de chaleur ou des réseaux multi-énergies, à des bénéfices techniques, économiques et environnementaux liés à la mutualisation, déjà bien connus à l’échelle des réseaux de chaleur urbains : foisonnement des productions et besoins d’énergie, économies d’échelle sur les systèmes ou les combustibles, meilleure maîtrise des nuisances… Grâce au stockage, il permet aussi d’exploiter la réversibilité chaleur/froid et de la prendre en compte dans la façon dont le bilan d’énergie des BEPos est appréhendé : une consommation de froid peut être assimilée à une production de chaleur, si cette chaleur est récupérée et stockée pour être valorisée.
En parallèle du bâtiment à énergie positive se développe ainsi le concept (non réglementaire) de quartier à énergie positive en zone urbaine ou de territoire à énergie positive, qu’on rencontre aujourd’hui plutôt en zone rurale : une portion du territoire dont les flux d’énergie sortante (et renouvelable) sont plus élevés que les flux d’énergie importée.

Source : IEA Building Energy Code Workgroup

En parallèle du bâtiment à énergie positive se développe ainsi le concept (non réglementaire) de quartier à énergie positive en zone urbaine ou de territoire à énergie positive, qu’on rencontre aujourd’hui plutôt en zone rurale : une portion du territoire dont les flux d’énergie sortante (et renouvelable) sont plus élevés que les flux d’énergie importée.

Des labels puis une réglementation adaptés

Pour que les synergies entre réseaux de chaleur et bâtiments à énergie positive puissent trouver leur voie, il est nécessaire que le cadre réglementaire les accompagne. Avant 2020, les labels basés sur le principe du bâtiment à énergie positive ont donné des signaux aux acteurs des réseaux et de la construction. Par exemple, le niveau Energie 4 du label E+C- a permis à des maîtres d’ouvrage de valoriser leurs bâtiments à énergie positive.
Ainsi, la production d’énergie renouvelable in situ devra être bien prise en compte dans son intégralité, qu’il s’agisse d’électricité, de chaleur ou de froid. A contribution égale aux objectifs énergie-climat, les systèmes électriques et thermiques devraient bénéficier des mêmes facilités. Par les mécanismes de la réglementation, les constructeurs de bâtiments devraient être incités, à coût et contraintes équivalents, à choisir les équipements qui offrent la plus grande quantité d’énergie valorisable. La question des énergies de récupération devrait également être intégrée.

Au niveau local, les collectivités et exploitants de réseaux de chaleur devront imaginer des modèles économiques et juridiques leur permettant de raccorder des bâtiments à énergie positive afin de leur acheter de la chaleur.
De plus, la manière de prendre en compte l’auto-consommation dans la réglementation devrait être étudiée. En effet, il ne s’agit pas de revendre de façon systématique la production d’énergie renouvelable : la mutualisation et le stockage permettent une auto-consommation plus grande et ainsi une diminution de l’utilisation des énergies fossiles. Ainsi, dans la RE2020, seule l’autoconsommation est valorisée (permettant de diminuer l’indicateur Cep sur la consommation d’énergie primaire), les exportations d’énergies ne sont plus déduites.
Par ailleurs, la question de l’échelle bâtiment/quartier, esquissée dans la directive européenne « production […] sur place ou à proximité » doit encore trouver sa voie en France, à mi-chemin entre le code de la construction et celui de l’urbanisme – avec le code de l’énergie en arrière-plan.