Réseau de chaleur très basse température à sources multiples
Le réseau classique : une production centralisée
Dans les réseaux de chaleur ou de froid classiques, la production est centralisée : 80% des réseaux ont une seule chaufferie ; seuls 5% en ont quatre ou plus.
Dans ces réseaux, l’énergie « utile » (c’est-à-dire la chaleur pour un réseau de chauffage ou le froid pour un réseau de climatisation) se déplace à sens unique, des chaufferies aux bâtiments raccordés.
Un tel schéma est adapté à des énergies permettant de produire de la chaleur à haute température dans un environnement très contrôlé et de façon continue.
Moins de °C, plus de sources
Les différentes sources de chaleur disponibles dans un territoire ne permettent pas d’atteindre les mêmes régimes de température. Les combustibles (fossile comme le gaz ou renouvelable comme le bois) permettent d’atteindre plusieurs centaines de degrés et peuvent donc aisément amener un fluide caloporteur à une température de 100°C.
A l’inverse, il est plus difficile d’atteindre de telles températures à partir de sources comme la géothermie superficielle (autour de 20-30°C) et la récupération sur eaux usées (10-20°C).
Le solaire thermique, la récupération de chaleur industrielle, la chaleur collectée dans un immeuble climatisé, etc. occupent autant de plages de température intermédiaires.
Légende : Schéma de principe : température du réseau et températures des sources
Chaque couleur représente un type de source de chaleur et la plage de température relative à laquelle il peut élever un fluide caloporteur, sans pompes à chaleur (PAC).
- Le bleu foncé peut par exemple représenter le gaz,
- le jaune, le solaire thermique,
- et l’orange ou le bleu clair la récupération de chaleur de bâtiments ou d’eaux usées.
Plus la température de fonctionnement du réseau est basse, plus le panel de sources exploitables est large.
Une production décentralisée
Un réseau « multipoints-multipoints »
Principe du réseau “multipoints – multipoints”
Les nombreuses sources exploitables par un réseau très basse température sont dispersées dans le territoire urbain au sein duquel se trouvent le ou les quartier(s) à desservir. Alors qu’une chaufferie bois/gaz est un point bien localisé qui servira de tête de réseau, les panneaux solaires, les canalisations d’eaux usées, ou encore les forages géothermiques peuvent être beaucoup plus diffus, multipliant le nombre de points de collecte de la chaleur.
Certains points de consommation de chaleur sont eux-mêmes des sources potentielles. Un bâtiment équipé de panneaux solaires thermiques peut avoir besoin d’un appoint de chaleur apporté par le réseau en hiver ou le soir, et à l’inverse « déverser » dans le réseau son excédent de production solaire en été ou dans la journée. Un bâtiment climatisé par le réseau est également une source de chaleur, la livraison de froid étant, physiquement, un prélèvement de chaleur. De façon générale, ce type de réseau apporte un exutoire possible pour les bâtiments à énergie positive (produisant plus d’énergie qu’ils n’en consomment).
Le réseau ne repose ici plus sur un schéma classique « point-multipoints » à sens unique, mais sur un fonctionnement « multipoints-multipoints » et dans lequel le sens des échanges de chaleur peut varier sur une journée et sur l’année.
Chaleur et froid sur le même réseau
Les installations géothermiques peuvent fonctionner de façon réversible :
- en hiver, elles fournissent au réseau la chaleur qu’il livre aux bâtiments ;
- en été, elles stockent la chaleur prélevée dans les bâtiments climatisés, la chaleur fatale des usines ou encore les excédents de production des panneaux solaires.
Du fait de sa très basse température, le réseau peut servir de source chaude en hiver (température du réseau supérieure aux températures extérieures) et de source froide en été (température du réseau inférieure aux températures extérieures).
Rouge : livraison de chaleur / Bleu : livraison de froid
Vers des « smart grids thermiques »
La gestion de ces nombreuses sources et le besoin d’optimisation du fonctionnement du réseau nécessite l’introduction d’équipements intelligents.
A l’image des smart-grids désormais bien connus pour l’électricité, la mise en place de capteurs communicants, de capacités de calcul et d’interfaces de pilotage des différents éléments permet au réseau multi-sources de fonctionner de façon optimale (diminution des pertes ; augmentation du taux de couverture des besoins par les sources les moins coûteusessur le plan économique et sur le plan environnemental).
Smart-grids électriques et thermiques peuvent d’ailleurs être interconnectés, renforçant la souplesse de l’ensemble du dispositif : par exemple, l’excédent d’électricité produite à un instant donné peut être converti en chaleur, qui pourra être stockée s’il n’y a pas de besoin immédiat.
Voir aussi : Techniques d’optimisation des réseaux de chaleur
Une évolutivité renforcée
Un des atouts des réseaux de chaleur est leur évolutivité au niveau des sources. Cette capacité à faire évoluer les sources de chaleur et de froid et les lieux de stockage de l’énergie thermique est démultipliée avec un réseau spécifiquement organisé pour fonctionner avec un nombre important et une diversité de sources.
Une source initialement dimensionnée pour un unique bâtiment (exemples : petite installation de géothermie superficielle pour un immeuble tertiaire ; panneaux solaires thermiques individuels) peut être raccordée au réseau. Ceci facilite en outre le déploiement progressif du réseau : si, sur un aménagement neuf, on sait qu’une part significative des bâtiments ne sera pas construite avant plusieurs années, les premiers bâtiments peuvent être équipés de systèmes individuels qui pourront ensuite être reliés au réseau qui desservira l’ensemble du quartier.
Les limites du système
Bâtiments dont les besoins en chauffage sont faibles
Ce dispositif n’est adapté qu’aux bâtiments dont les besoins en chauffage sont faibles (niveaux BBC, RT 2012 et au-delà avec la RE2020). Ils doivent être équipés d’émetteurs à basse température (planchers chauffants/rafraîchissants, radiateurs à basse température…).
En outre, ce dispositif n’est pas le plus adapté à la fourniture d’eau chaude sanitaire, qui nécessite un élèvement de température jusqu’à 40°C dans le neuf et encore davantage dans l’ancien.
Conception globale
L’ingénierie et l’architecture d’un tel réseau sont très spécifiques ; la mise en œuvre ne peut se faire que sur un réseau neuf, avec une conception globale adaptée, depuis la mise en place des points de production ou de récupération de chaleur, jusqu’aux points de livraison dans les bâtiments.
Portage local très fort
Encore plus qu’avec un réseau classique, une telle réalisation nécessite un portage local très fort, parfaitement intégré dans le projet urbain, afin que toutes les sources de chaleur puissent être mobilisées et que tous les bâtiments neufs situés dans le périmètre du réseau soient raccordés.
Caractère expérimental
Enfin, ce concept de réseau très basse température et à sources multiples étant très novateur, les premières réalisations auront nécessairement un caractère expérimental. Elles devront intégrer des inconnues, notamment le niveau de performance pouvant être atteint par le système.
Les questions de modalité d’achat de l’énergie auprès des sources devront aussi être traitées.
Quelques illustrations…
Grenoble : Conversion en réseau basse pression du réseau eau surchauffée de la presqu’île scientifique de GRENOBLE
Réseaux de chaleur à Grenoble - Rédaction et photo CCIAG
La Compagnie de Chauffage Intercommunale de l’Agglomération Grenobloise (délégataire du deuxième plus grand réseau de chaleur de France avec 100 000 équivalents-logements raccordés) a débuté le projet de conversion d’une partie de son réseau de la technologie haute pression en eau surchauffée vers la technologie basse pression.
La branche du réseau concernée est le réseau de la presqu’île scientifique de Grenoble sur laquelle de nombreux acteurs publics et privés sont installés : CEA, Université de Grenoble, CNRS, STMicroelectronics….
Les objectifs du nouveau réseau sont multiples :
- Réseau de type nouvelle génération vecteur pour la transition énergétique
- Efficacité énergétique et pertes thermiques moindres
- Niveaux de température adaptés à la valorisation des énergies locales et renouvelables
- Réglementation allégée et coûts de construction inférieurs
- Renouvellement du patrimoine réseau et sous-station
Les éléments structurants du projet sont :
- Création d’un poste d’échange HP/BP de 36 MW sur l’emprise du foncier de la centrale Thermique
Biomax
- Création d’un réseau structurant BP à 120°C depuis la centrale Biomax
- Longueur de réseau estimée : 4500 ml
- Remplacement systématique des sous-stations primaires
- 26 sous-stations rénovées en BP d’ici à 2023
- Connexion de certains réseaux HP à la BP
- Mise en place d’unités mobiles de production pour répondre aux besoins pendant la période de coupure
- CAPEX global estimatif : 9 M€
Voir aussi : Projets “Réseaux de Chaleur” dans le cadre des EcoCités